- ---     - -    -Autoportrait  -  fragments d’esquisses-   ---- - --     ------

 

 

C’est une ombre très noire jetée contre un mur, un visage dans un miroir, un album de mauvaises photos ou une flaque dans la boue, le dos de la petite cuillère, le revers du couteau, une faïence, un faux miroir.

Un nuage passe entre moi et moi.

Sur le miroir, j’ai tenté de fixer ma pensée dans un instantané où m’apparaîtrait le premier point sur lequel mon attention allait se diriger pour capturer un premier trait : l’image était un peu floue, comme si j’avais bougé, comme si ma pupille s’était trop attardée, sur elle même peut-être, sans vraiment se fixer. Il me semble que c’est le contour du visage, d’abord, qui m’interroge, qui glisse sur la surface du miroir, qui se laisse manger par les ombres claires, électriques. Le mot que je tente de coller à ce trait, je le lâche. Silence.

Immédiatement après vient la peau, saisie dans une grimace : deux adjectifs de couleur, des plus simples, du jaune, du rouge… ou peut-être… j’hésite. Moins rouge que rouge, mais plus rose que rose. Avec un peu de bleu encore ; c’est là que manquent les mots et qu’il faut parler du sang dans la peau, des vaisseaux abîmés au coin de l’œil et du nez, des nuits blanches, des petits boutons, des coupures du rasoir, des claques et des coups de tête.

 

Le visage est fin, moins fin qu’il ne l’a été. Le front se dégarni, légèrement, la tonsure s’esquisse, les cheveux sont ras, châtain, plutôt clairs, peut-être ternes, pas brillants, pas gras, pas secs. Ils poussent peu à peu pour des shampoings normaux. Les oreilles sont petites. La bouche est petite. Les petits yeux marron sont particulièrement enfoncés dans leur orbite, sans brillance, pas ternes, très immobiles, quand ils se regardent. Une ride sur le front. Le nez est assez large à la racine et porte lunettes.

Partant de la commissure des lèvres, deux traits fins traçant chacun un tiers de la longueur de la bouche. Au milieu, le dernier tiers, plus épais, courbe, presque rond. Une contre-courbe régulière, légère, petite, au-dessus de la lèvre supérieure et un segment comme tracé à la règle, à la base de la lèvre inférieure : bouche cessée.

J’ai deux cercles pour narine. En dessous, la barbe fraîchement coupée fait un  halo gris.

Epaules, nuque, le buste un peu frêle, les jambes plus massives, pied grec, visage pâle, traits réguliers, petite tête, front dégagé.

Epaules étroites, dorsale saillante, jambes croisées, pied marin.

Taille moyenne à petite taille, mince, voire maigre, toujours moins, dos voûté, légèrement, assez.

 

 

 

Je me souviens de moi et de la tête que je faisais ce jour-là, de face, de dos, de trois quart et de profil.

 

 

 

 

On ne peut empêcher l’immobilité de se faire quand on se regarde au miroir, on ne peut s’empêcher d’imaginer saisir son image immobile ; on arrête son geste en pleine mousse à raser, dans le clair-obscur électrique ; l’œil est sombre, le front fait un aplat jaune rouge. Le visage encadré dans le tableau, l’œil gauche est à droite etc. Eclat de verre n°1 : rend un éclat de peau  à la surface orangée rose, piqué de points noirs, rouges, gris/pilosité dure, perle de sang, trace de mousse blanche  -  le front décidé, plus haut, dans un pan encore accroché du miroir.

La main sûre, relâchée, appuyée sur le rebord du lavabo : l’eau savonneuse en rend l’ombre qui se mêle à la faïence. Les jambes en plongée, en bord de champ astigmate. Eclat de verre n°2 : suspendu dans l’air, légèrement incliné, placé de 3/4 ; ceci ne fut qu’un instant, où je n’étais pas. De l’encre dans l’eau, du savon dans la bouche. Eclat de verre n°3 : du blanc mangé du gris de l’ombre, le plafond et la courbe charnue de la petite oreille. Eclat de verre n°4 : […] Eclat de verre n°5 : au bout des doigts.

La bouche cessée.

 

 

Quiconque, dans la rue, qui me croise, sans un mot, sait que je suis européen, ni trop du nord, ni trop du sud.

 

 

Il se peut qu’à son propre regard, on ne soit, en général, que normal. Canon. Insipide, qui ne trouve sa saveur qu’en deçà de la forme, dans le dedans, par ce qui fait le volume se tendre et vibrer. Je vois par exemple, sur ma main en train d’écrire, des phalanges et des veines bleues saillirent, l’index se tordre et tressauter sur le stylo, le pouce se ressaisir et glisser encore.

 

 

Dans les plis, les replis.

La main ni large, un peu longue, ni épaisse, des coussins dans la paume entre lesquels se cache l’obscurité du corps.

La paume mouille et perle et, au soleil, fait des arcs-en-ciel.

Les doigts sont osseux, cela se voit aux articulations.

La limite entre la paume et le dos est relativement nette et précise : dessus piqué de mille

 aiguilles, dessous lisse où commence la spirale de la grande empreinte, entamée par l’obscurité courbe des plis.

La main, volume complexe riche en texture. Majeur droit, juste sous l’ongle, côté gauche, peau cuirée de nicotine, tannée par la plume.

Partout sur le dos de la main, une multitude de stries brèves, de fissures, de crevasses, comme des surfaces qui s’entrecroisent, où d’autres partiellement viennent se superposer : 5703 pores comme des virgules ; 2907 poils noirs et longs ; 10914, blonds, légers, peu visibles ; 4 ou 5 points disséminés, infimes perles de sang coagulées sous la peau, blessures fantômes.

Comme deux arbres bleu-vert dans la transparence de la peau, deux grosses veines vont de ramifier et perdre leur cime dans le tronc des doigts. 

 

 

Il a de petites lunettes noires qui cernent son regard sourd, des traits fins sur des joues un peu rondes et la peau pâle et grise d’une barbe rase et dure. La bouche est mince et courte, le cheveu ras. Ni brun, ni blond. Les tempes dégarnies, il a les mots graves, l’épaule courbe. Un mètre soixante-dix, petite taille, relativement. Son dos brisé porte sa tête, il a de petites mains claires et longues au bout d’un bras léger. Il marche toujours vite dans un jeans et ses pataugas. Il marche sous l’ample chemise qui retombe toujours un éclat de couleur passée sur ses pantalons.

 

 

 

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